J.O. 233 du 8 octobre 2003
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Texte paru au JORF/LD page 17195
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Avis n° 2003-5 du 22 juillet 2003 sur deux projets de décrets modifiant le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat
NOR : CSAX0302005V
Saisi pour avis, en application de l'article 27 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, de deux projets de décrets modifiant le décret no 92-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de téléachat, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, après en avoir délibéré, prend acte de la préoccupation du Gouvernement de faire évoluer la réglementation publicitaire nationale.
A titre préalable, le conseil rappelle qu'il préconise depuis plusieurs années l'ouverture, progressive et concertée, des secteurs interdits de publicité télévisée par voie réglementaire afin de favoriser le développement des services distribués par câble ou diffusés par satellite, l'essor des télévisions locales hertziennes et le déploiement de la télévision numérique de terre.
Dans l'avis qu'il a rendu le 23 octobre 2001 sur le projet de décret modifiant le décret du 27 mars 1992, le conseil suggérait ainsi, d'une part, que tous les services, à l'exclusion des services hertziens analogiques nationaux, puissent diffuser des messages publicitaires en faveur des secteurs de la presse, de l'édition littéraire et du cinéma, et, d'autre part, que les chaînes locales hertziennes et les canaux locaux du câble puissent en outre diffuser des messages en faveur du secteur de la distribution.
Le démarrage prochain de la télévision numérique terrestre, les enjeux liés à la création de nouvelles chaînes locales ainsi que les difficultés croissantes des chaînes thématiques rendent plus aiguë que jamais la nécessité d'une réflexion sur la portée économique de cette réforme, qui devrait être mise en oeuvre selon un calendrier et des modalités tenant compte des nouvelles réalités du marché.
Dans cette perspective, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a examiné les projets gouvernementaux d'ouverture de la publicité aux quatre secteurs concernés. Le souci du conseil est de concilier le principe d'égalité de traitement des opérateurs, d'une part, et les enjeux de pluralisme et de concurrence sur les marchés de la télévision et de la publicité télévisée, d'autre part, en tenant compte des caractéristiques et de l'état du développement du paysage audiovisuel français.
Le CSA partage les analyses et projets du Gouvernement en ce qui concerne l'ouverture du secteur de l'édition littéraire et la levée de l'interdiction pour le secteur de la presse, sous réserve de quelques observations.
S'agissant du secteur de la distribution, le conseil est également favorable à l'ouverture mais souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur les conséquences importantes qu'aurait pour le secteur de la télévision cette ouverture (envisagée à très court terme par le projet de décret) dans le cas particulier des chaînes hertziennes nationales diffusées en mode analogique.
Le conseil souhaite que soit privilégiée l'hypothèse d'une ouverture bénéficiant à compter du 1er janvier 2004 à l'ensemble des services de télévision, à l'exception des services nationaux de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique. La phase pendant laquelle il paraît souhaitable de différer la publicité sur la télévision nationale hertzienne analogique doit être suffisamment longue pour permettre le développement des services audiovisuels n'ayant pas atteint une puissance suffisante pour collecter des ressources publicitaires assurant leur pérennité.
Si cette phase était trop brève, l'ouverture aurait pour principal effet de renforcer la position des leaders de la télévision commerciale, et singulièrement celle de l'acteur en position dominante sur le marché de la publicité télévisuelle.
Dans cette perspective, le conseil souhaite formuler les observations suivantes.
1. Des précisions devraient être apportées sur le champ
et les modalités d'application du dispositif envisagé
En premier lieu, la levée totale de l'interdiction concernant le secteur de la presse, quoique satisfaisante dans son principe, risque d'être source de difficultés d'application au regard des dispositions de l'article 14 de la loi précitée du 30 septembre 1986 qui prohibe la publicité politique. Notamment, la présentation de titres de presse dont la « une » serait consacrée à des personnalités, des partis ou des événements politiques risque d'être source de contentieux. Par ailleurs, les titres des journaux indépendants des principaux groupes de communication ne pourront pas accéder à la publicité télévisée trop onéreuse ; pour assurer leur sauvegarde, il importe que le Gouvernement mette en oeuvre les dispositifs appropriés.
En second lieu, la rédaction de l'article 1er du projet de décret relatif au secteur de l'édition littéraire conduit à autoriser la publicité pour ce secteur sur les écrans des services de télévision hertziens analogiques nationaux, qui sont également distribués par câble ou diffusés par satellite. Il conviendrait de préciser la rédaction du projet en limitant l'ouverture aux « services exclusivement distribués par câble ou diffusés par satellite ». Par ailleurs, il serait souhaitable d'étendre cette ouverture aux services de télévision locaux et aux services de télévision numérique de terre, à l'exclusion des services de télévision hertziens analogiques nationaux.
En troisième lieu, le conseil prend acte du maintien de la réglementation concernant le secteur du cinéma qui demeure exclu des écrans publicitaires à l'exception de ceux programmés dans les plages cryptées des services de cinéma distribués par câble ou diffusés par satellite ou par voie hertzienne terrestre en mode numérique. Il estime souhaitable pour l'équilibre économique de ces chaînes qu'au sein de leurs plages cryptées soit également permise la publicité en faveur des vidéocassettes et DVD d'oeuvres cinématographiques qui, en tant qu'ils relèvent d'un secteur spécifique distinct du secteur du cinéma, ne peuvent aujourd'hui être promus dans ces plages.
Enfin, le dispositif d'ouverture maîtrisée du secteur de la distribution pose, outre la question du rythme d'ouverture examiné ci-après, des difficultés d'application.
L'interdiction des campagnes de promotion en télévision est justifiée en ce qu'elle permet de contenir en partie l'impact de l'ouverture sur les médias les plus exposés (radio et presse quotidienne régionale). Cette interdiction reflète d'ailleurs les contraintes du marché, la télévision nationale étant un média peu adapté à la diffusion d'annonces publicitaires pour des promotions ponctuelles de produits ou de services, souvent réservées à un marché local.
Le CSA relève toutefois que le contrôle qu'il sera amené à exercer sur le caractère non promotionnel des messages publicitaires risque de se révéler délicat. Par ailleurs, le dispositif pourrait susciter des campagnes publicitaires simultanées et coordonnées entre des médias télévisés, vantant les avantages d'une enseigne pour certains types de produits, et des médias écrits ou radiophoniques annonçant des promotions sur ces mêmes produits. Le CSA relève que rien n'interdit dans le décret ce type de campagne publicitaire, qui peut contribuer à maintenir les recettes des médias écrits ou radiophoniques.
Enfin, le conseil relève que la rédaction envisagée par le Gouvernement du champ d'interdiction des opérations commerciales de promotion semble permettre la diffusion de messages annonçant des prix dès lors que ceux-ci ne présentent pas un caractère occasionnel ou promotionnel.
2. - La portée économique de l'ouverture envisagée
La situation actuelle du marché de la publicité télévisée se caractérise par une concentration des recettes publicitaires sur un nombre limité de supports et par les difficultés de développement pour le paysage de la télévison dit « de complément ».
2.1. - Un enjeu financier important pour le secteur de la télévision
L'effet financier de la mesure est délicat à évaluer dès lors qu'il sera probablement progressif et dépendra du comportement de nombreux acteurs. Il fait cependant peu de doute qu'il représente des montants importants pour les opérateurs de télévision, en raison de l'ampleur des investissements publicitaires de la distribution.
A titre d'illustration, selon les données de l'institut France Pub, les investissements des annonceurs du secteur de la distribution dans les médias nationaux hors télévision sont de 403 MEUR. Une part de ces investissements est susceptible d'être redéployée au bénéfice de la télévision nationale. Si la proportion de ce redéploiement était, à terme, de 35 % (soit la part moyenne de la télévision dans les dépenses médias des autres secteurs d'activité), ce sont 140 MEUR d'investissements annuels qui pourraient se redéployer au profit de la télévision nationale (soit une croissance de 5 % des recettes publicitaires nettes des télévisions). Si cette proportion atteignait 60 % (à l'image de certains secteurs où les annonceurs privilégient la télévision), le gain pour la télévision serait alors de 240 MEUR.
Cette fourchette pourrait être majorée si une partie des investissements des annonceurs locaux ou régionaux de la distribution devait être redéployée ou si on devait observer un éventuel transfert vers la télévision d'une partie des investissements hors médias des annonceurs de la distribution. Dans ce dernier cas, et selon les informations recueillies par le CSA, ce transfert pourrait représenter 10 à 20 % des investissements publicitaires dans l'édition et la distribution de prospectus.
2.2 Les conséquences possibles pour chaque catégorie d'acteurs
Les chaînes hertziennes nationales
Les chaînes hertziennes nationales continuent d'attirer l'essentiel de l'audience de la télévision (90,5 % en 2002, source Médiamétrie 2002, cible des individus de quatre ans et plus). Elles bénéficient d'une couverture complète du territoire et d'une initialisation massive des foyers. Les chaînes hertziennes nationales sont en position de force sur le marché publicitaire où elles réalisent 92 % des recettes publicitaires brutes (estimation pour 2002, base SECODIP) et 95 % des recettes nettes (sur la base du chiffre d'affaires des chaînes). Parmi les chaînes nationales, ce sont les deux plus grandes chaînes commerciales, TF 1 et M6, qui bénéficient le plus des investissements publicitaires : elles concentrent 70 % des investissements publicitaires bruts comme nets de la télévision (chaînes nationales et chaînes dites de complément) pour 46 % de parts de marché d'audience des individus de quatre ans et plus, TF 1 captant 51 % des investissements publicitaires nets et 32,7 % de l'audience et M6 respectivement 19,2 % et 13,2 %.
Compte tenu de leur caractère de médias de masse et de la préférence des annonceurs de la grande distribution pour les médias leaders, il fait peu de doute que les investissements publicitaires qui se redéploieraient vers la télévision après 2006 seront essentiellement captés par les chaînes nationales hertziennes.
L'analyse de la dernière évolution significative du régime de diffusion de la publicité télévisuelle (diminution de 12 à 8 minutes par heure glissante intervenue en 2000 et 2001 sur les antennes de France Télévision) montre que seules les grandes chaînes commerciales ont été en mesure de profiter de l'assouplissement consenti. La réduction de la durée de diffusion de la publicité sur les antennes de France Télévision a donné lieu à des reports d'investissements publicitaires massifs vers TF 1 et M6.
De même, l'ouverture du secteur de la distribution devrait avant tout bénéficier à TF 1 et M6, sans doute au moins au prorata de leurs parts de marché actuelles (70 %), renforçant ainsi le déséquilibre de la répartition sur le marché publicitaire.
Par ailleurs, compte tenu de l'encombrement probable des écrans publicitaires lié à l'arrivée des annonceurs de la grande distribution, il est à craindre que les régies publicitaires des grandes chaînes augmentent leurs tarifs de façon significative. Cette probable dynamique inflationniste constitue un risque supplémentaire de renforcement des positions de force de ces grandes chaînes et de la position dominante de la chaîne leader.
En outre, l'augmentation du coût des écrans publicitaires télévisuels risque d'inciter les acteurs économiques (diffuseurs et annonceurs) à faire pression sur les pouvoirs publics en faveur d'une augmentation des durées autorisées de diffusion de la publicité et d'une autorisation d'une seconde coupure publicitaire des oeuvres diffusées par les chaînes privées.
A cet égard, le conseil est réservé face à toute mesure tendant à augmenter le volume autorisé des espaces publicitaires, qui nuirait au confort d'écoute des téléspecteurs. Une telle mesure aurait également pour effet de réduire davantage encore les recettes publicitaires de la presse écrite et des radios, dont la situation sera déjà affectée par la réforme soumise au conseil.
Les chaînes de télévision locales
Le développement des télévisions locales hertziennes - aujourd'hui au nombre de huit seulement en métropole, dont cinq couvrent des agglomérations importantes - est une priorité du CSA, affirmée à plusieurs reprises. Leur viabilité économique n'est malheureusement pas assurée à ce jour. L'accès de ces éditeurs à la publicité en faveur du secteur de la distribution, que le conseil a plusieurs fois appelé de ses voeux, est l'une des mesures susceptibles d'augmenter les ressources de ces services. Le conseil y est donc évidemment favorable dans son principe.
Cependant, il existe une condition encore plus fondamentale à l'équilibre à terme des télévisions locales : c'est le développement d'un réseau d'une quinzaine de stations organisant ensemble la commercialisation de leurs espaces publicitaires auprès des annonceurs nationaux. C'est avec l'objectif de permettre la constitution d'un tel réseau que le CSA s'emploie à lancer des appels à candidatures en vue de la création de nouvelles chaînes locales (de futures télévisions locales à Lille, Marseille, Montpellier, Nîmes, Orléans, Tours, Angers, Le Mans et Grenoble viendraient ainsi s'ajouter à celles de Lyon, Toulouse, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Troyes déjà en fonctionnement et à celle de Nantes en cours d'autorisation).
Mais la question de l'accès des services locaux à la publicité pour la distribution ne saurait être envisagée indépendamment de la réalité des calendriers d'appels aux candidatures.
Compte tenu de la durée habituelle des procédures d'appel à candidatures, ces nouvelles télévisions locales ne pourront certainement pas voir le jour, dans le meilleur des cas, avant la fin de l'année 2004. Le décalage théorique de deux ans prévu au bénéfice des télévisions locales se trouvera ainsi pratiquement réduit à moins d'un an pour ces nouveaux services, qui devraient pourtant représenter la part la plus importante du réseau. La portée réelle de cet « avantage » apparaît encore plus faible si l'on considère en outre la durée moyenne de montée en régime de ce type de service - qui dépend principalement de la rapidité avec laquelle les téléspectateurs adaptent leur installation de réception pour recevoir le nouveau canal - car elle n'est jamais inférieure à trois années.
Ainsi, la « fenêtre » temporelle de deux ans ménagée par le projet de décret au profit notamment des télévisions locales, avant l'ouverture généralisée du secteur de la distribution, apparaît beaucoup trop courte. Pour être réellement efficace, ce décalage devrait être porté à quatre années.
Cette fenêtre temporelle risque d'être plus réduite encore car le risque est grand de voir la mise en place de ce réseau significativement retardée. En effet, le projet de modification législative proposée par le Gouvernement visant notamment à améliorer le régime juridique des télévisions locales, jusqu'à conférer à cette catégorie de service un statut de « média audiovisuel le plus favorisé » - selon la formule du rapport remis par M. Michel Boyon au Premier ministre -, s'il est louable dans ses intentions, risque d'introduire des perturbations profondes dans le calendrier envisagé par le conseil.
En effet, si le conseil devait attendre la mise en place de ce nouveau cadre législatif et réglementaire avant le lancement de nouveaux appels à candidatures, il est probable qu'aucune nouvelle station ne pourrait démarrer avant la mi-2005 au plus tôt. Afin d'éviter de casser la dynamique qui se crée actuellement en faveur du développement des télévisions locales, il est très souhaitable que soient étudiées très rapidement les mesures réglementaires ou éventuellement législatives qui devront être prises pour permettre le lancement effectif de nouveaux appels à candidatures dès l'automne 2003 et leur traitement au cours du premier trimestre 2004.
Deux mesures d'accompagnement, proposées par M. Michel Boyon dans son rapport complémentaire sur la télévision numérique de terre, pourraient être prises en faveur des télévisions locales :
- le barème actuel de la taxe sur les messages publicitaires a pour effet de faire peser l'impôt proportionnellement beaucoup plus lourdement sur les télévisions locales que sur les grandes chaînes nationales. Une taxation proportionnelle ou une exonération en dessous de certains montants devrait être envisagée ;
- la contribution au fonds de soutien à l'expression radiophonique pourrait ne pas être perçue sur les télévisions nouvellement créées, pendant une certaine période.
Les chaînes du câble et du satellite
Les chaînes du câble et du satellite (au nombre d'une centaine environ) touchent en moyenne dix fois moins de foyers que les chaînes hertziennes nationales. A ce jour, seules deux chaînes de complément enregistrent une initialisation supérieure à 5 millions de foyers. Les chaînes du câble et du satellite représentent une part croissante de la consommation de télévision des ménages (le poste « autres TV » du Médiamat de Médiamétrie, c'est-à-dire les télévisions autres que les chaînes hertziennes nationales, représentait, en 2002, 9,5 % de l'audience totale de la télévision). Cependant, elles peinent toujours à représenter un débouché publicitaire important : elles ne collectent qu'environ 5 % des recettes nettes de la publicité télévisée (8 % des recettes publicitaires brutes). Les pertes cumulées des chaînes ayant communiqué leurs résultats au CSA (78 chaînes) sont de 117 millions d'euros en 2001, pour un chiffre d'affaires de 848,7 MEUR. La combinaison d'un contexte publicitaire difficile et d'une forte baisse du niveau moyen de redevance par abonné met nombre de ces chaînes en difficulté.
La difficulté dans laquelle se trouvent les chaînes du câble et du satellite sera, en outre, accrue pour celles qui n'ont pas été sélectionnées pour la télévision numérique de terre.
Dans un contexte où les chaînes du câble et du satellite peinent à accéder au marché publicitaire, le Gouvernement propose de protéger ces chaînes pendant deux ans de la concurrence des chaînes nationales hertziennes analogiques pour l'accès aux investissements publicitaires des annonceurs nationaux de la distribution.
Cette période de préservation paraît au CSA insuffisante pour aider les chaînes du câble et du satellite à franchir les difficultés qu'elles connaissent actuellement. Elle serait également insuffisante pour inciter les annonceurs de la distribution à s'orienter de façon significative vers les chaînes du câble et du satellite.
Les chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre
Des chaînes de télévision numérique hertzienne seront lancées à l'horizon de la fin de l'année 2004. Conformément aux orientations de la loi du 30 septembre 1986, une partie significative de ces chaînes sera diffusée à titre gratuit. Parmi ces chaînes figureront six chaînes privées sélectionnées par le CSA. La progression des recettes publicitaires de la télévision sera donc cruciale pour le financement de ces dernières.
Ces chaînes vont connaître les difficultés inhérentes aux chaînes du câble et du satellite décrites plus haut. De surcroît, celles qui seront diffusées à titre gratuit devront faire face, pour l'accès aux recettes publicitaires, à une concurrence plus vive des chaînes hertziennes historiques qui s'efforceront de préserver leur marché. Aussi toute mesure visant à accroître le marché publicitaire accessible à ces chaînes doit-elle être soutenue.
Cependant, sur ce point, le projet de décret n'est pas satisfaisant. En effet, compte tenu du premier déploiement de la TNT prévu fin 2004, il conduit à limiter à un an la durée pendant laquelle les chaînes de la TNT bénéficieraient d'un accès de fait prioritaire à la ressource publicitaire. Or, on peut douter que les chaînes de télévision numérique terrestre parviennent, un an seulement après leur lancement, à représenter un débouché intéressant pour les annonceurs de la distribution. Selon l'hypothèse moyenne tirée des prévisions d'initialisation communiquées par les éditeurs au CSA, moins d'un million de foyers devrait être en mesure de recevoir les nouvelles chaînes de la TNT la deuxième année suivant leur lancement. C'est à partir de la quatrième ou de la cinquième année que ces chaînes envisagent de pouvoir être reçues par trois à cinq millions de foyers, et ainsi de constituer un support publicitaire significatif aux yeux des annonceurs de la distribution.
Le secteur radiophonique
Le secteur de la distribution représente 22 % des ressources publicitaires de la radio, selon les données de l'institut France Pub. Ce taux recouvre une assez grande disparité de situation d'une station à l'autre. Par ailleurs, deux des cinq premiers annonceurs de la radio sont des enseignes de la grande distribution.
L'ouverture envisagée conduira probablement à un redéploiement d'une partie des campagnes nationales lancées par les enseignes, au détriment de la radio.
Cependant, ce média pourrait participer aux campagnes publicitaires coordonnées, qui utiliseraient la télévision pour promouvoir une enseigne, et la radio qui, grâce à son implantation locale, permettrait d'annoncer les opérations promotionnelles de ces mêmes enseignes. De même, la distribution pourrait allouer à la radio des investissements publicitaires nouveaux de « surpondération » destinés à accroître la pression publicitaire sur les cibles commerciales recherchées lors des grandes campagnes publicitaires télévisées nationales.
Il n'en demeure pas moins que l'impact réel de l'ouverture envisagée reste difficile à chiffrer.
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En conclusion, le CSA estime que la nécessaire ouverture du secteur de la distribution aux écrans publicitaires des chaînes de télévision hertziennes analogiques risque, si elle avait lieu dès 2006, d'avoir pour effet de conforter de façon déterminante la position des deux acteurs qui captent dès aujourd'hui 70 % des ressources du marché publicitaire télévisé et de faire obstacle au développement des acteurs émergents : les chaînes du câble et du satellite, les chaînes locales et les chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre, seules susceptibles, à terme, de développer la concurrence sur ce marché.
Le conseil insiste donc fortement sur la nécessité de différer l'ouverture de ce marché pour les chaînes nationales hertziennes analogiques jusqu'au jour où les diffuseurs aujourd'hui émergents auront pu suffisamment prendre leur place sur ce marché pour que ne soit pas menacée leur pérennité et qu'ainsi la diversité et le pluralisme du paysage audiovisuel soient assurés.
3. Le risque de renforcement des déséquilibres
entre le secteur public et le secteur privé
En application de la loi no 2000-719 du 1er août 2000, le Gouvernement a réduit la durée maximale de la publicité autorisée sur les antennes de France Télévision de 12 à 10 minutes par heure glissante en 2000 et de 10 à 8 minutes en 2001. Cette mesure s'est traduite par une réduction de 33,5 % de la durée des plages publicitaires entre 1999 et 2001 sur France 2 et France 3. L'écart de durée des messages publicitaires diffusés entre, d'un côté, TF 1 et M 6 et, de l'autre, France 2 et France 3 est devenu très marqué : 1 579 heures pour les deux chaînes privées contre 905 heures pour les deux chaînes publiques, en 2002.
Si la réduction de la durée de la publicité sur les chaînes publiques a été approuvée par le conseil dans son avis no 99-5 du 15 décembre 1999, il n'en demeure pas moins que l'écart croissant entre les revenus des chaînes commerciales et le secteur public peut avoir pour conséquence de marginaliser ces dernières en ne leur permettant pas de faire face à la hausse du coût des programmes.
C'est pourquoi le conseil considère que si le projet de décret ouvrant le secteur de la distribution devrait être publié en l'état, il appartiendrait au Gouvernement d'engager très rapidement une réflexion sur l'évolution des ressources des chaînes publiques, en examinant en particulier les possibilités d'adopter des mesures compensatoires, leur permettant ainsi de maintenir leur place dans le paysage audiovisuel.
4. Les mesures d'accompagnement possibles
Ainsi qu'il a été explicité supra, l'ouverture sans exclusive du secteur de la distribution présentant le risque d'accroître le déséquilibre de la répartition du marché publicitaire au profit d'un renforcement des positions les plus fortes, le conseil préconise un allongement de la période transitoire pendant laquelle les chaînes analogiques nationales ne peuvent pas accéder aux investissements de la distribution. Cette durée, fixée à deux ans par le projet de décret, devrait être portée à quatre ans, par alignement des supports du câble, du satellite et de la télévision numérique de terre sur le régime recommandé pour les télévisions locales, ou - mieux encore - aménagée selon un délai à fixer en fonction du déploiement de la télévision numérique terrestre et de l'émergence d'une concurrence renforcée sur le marché de la publicité télévisée.
Par ailleurs, le conseil considère qu'il importe d'examiner dès maintenant des mesures propres à prévenir les effets négatifs de l'ouverture proposée en termes de concurrence effective sur le marché de la publicité télévisée. Compte tenu des structures de marchés existantes et des risques d'atteinte au bon fonctionnement de la concurrence qui pourraient en résulter au cours de la période pendant laquelle les acteurs émergents n'auront pas un accès suffisant au marché publicitaire, il souhaite que le Gouvernement propose les mesures compensatoires nécessaires pour remédier à ces risques.
En particulier, l'ampleur prévisible des recettes nouvelles dégagées par les télévisions hertziennes privées du fait de l'ouverture du secteur de la distribution justifie qu'une partie de la ressource supplémentaire issue de « l'effet d'aubaine » ainsi provoqué soit redistribuée pour favoriser le développement des acteurs émergents, et notamment la télévision numérique de terre et les télévisions locales, durant le temps nécessaire au rééquilibrage du marché.
Fait à Paris, le 22 juillet 2003.
Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel :
Le président,
D. Baudis